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dences d’un domestique du château de Saché : « Parfois il se renfermait dans sa chambre, et il y restait plusieurs jours. C’est alors que, plongé dans une sorte d’extase et armé d’une plume de corbeau, il écrivait nuit et jour, s’abstenant de nourriture et se contentant de décoctions de café qu’il préparait lui-même[1]. » Dans le début de Facino Cane, ce phénomène se trouve ainsi décrit : « Chez moi, l’observation était dès ma jeunesse devenue intuitive. Elle pénétrait l’âme sans négliger le corps, ou plutôt elle saisissait si bien les détails extérieurs qu’elle allait sur-le-champ au delà. Elle me donnait la faculté de vivre de la vie de l’individu sur lequel elle s’exerçait, en me permettant de me substituer à lui, comme le derviche des Mille et une nuits prenait l’âme et le corps des personnes sur lesquelles il prononçait certaines paroles… » Et il ajoute, après s’être décrit en train de suivre dans la rue un ouvrier et sa femme. « Je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur. C’était le rêve d’un homme éveillé. » Un jour qu’il regardait avec un de ses amis un loqueteux qui passait sur le boulevard, l’ami vit avec stupeur Balzac toucher de la main sa propre manche : il venait d’y sentir la déchirure qui bâillait au coude du mendiant. Avais-je tort de rapprocher cette sorte d’imagination de celle que l’on observe chez les extatiques de l’ordre religieux ? Avec un don pareil, Balzac pouvait n’être, comme Edgar

  1. Brochure de M. le docteur Fournier sur la statue de Balzac, cette statue à l’œuvre de laquelle s’est voué si ardemment M. Henry Renault, — un autre dévot qui avait fondé le Balzac. — On trouve dans cette brochure un bien curieux portrait de Balzac, d’après une sépia de Louis Boulanger, qui appartient à M. le baron Larrey.