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elle me présenta au tendre objet de ses soins maternels. Lorsque je vis pour la première fois Anne Catherick, elle dormait. Je fus électrisé par la ressemblance qui existait entre cette malheureuse femme et lady Glyde. À la vue de ce visage endormi, les détails du grand plan qui, jusqu’alors, ne s’était offert qu’en bloc à mon imagination, se présentèrent à elle dans leur enchaînement magistral. Et mon cœur, en même temps, toujours accessible aux influences tendres, fondit en larmes au spectacle des souffrances que j’avais devant moi. Je me consacrai immédiatement à les soulager. Je pourvus, en d’autres termes, au stimulant nécessaire pour rendre Anne Catherick capable d’entreprendre son voyage à Londres.

Arrivé là, je me dois de faire entendre une protestation indispensable, de rectifier une regrettable erreur.

Les plus belles années de ma vie ont été consacrées à étudier avec ardeur la médecine et la chimie savantes. La chimie, plus particulièrement, a toujours eu pour moi un attrait irrésistible, à cause du pouvoir énorme et presque illimité qu’elle confère à ses adeptes. Les chimistes, je l’affirme avec autorité, pourraient, s’ils le voulaient, régir les destinées du genre humain. Avant d’aller plus loin, qu’on me permette d’expliquer ceci.

L’esprit, dit-on, gouverne le monde. Mais, en revanche, qui gouverne l’esprit ? Le corps, à coup sûr. Le corps (qu’on veuille bien suivre ici ma pensée) demeure à la merci du potentat suprême, qui est le chimiste. Accordez-moi la chimie, à moi Fosco ; et au moment où Shakspeare vient de concevoir « Hamlet », — alors qu’il se prépare à réaliser cette conception, — au moyen de quelques grains de poudre mêlés à sa nourriture quotidienne, je réduirais son intelligence soumise à l’action de son corps, si bien que sa plume émettrait infailliblement le plus abject galimatias qui jamais ait dégradé le papier. Dans des circonstances analogues, ressuscitez-moi l’illustre Newton. Je vous garantis que, venant à voir tomber la fameuse pomme, il