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l’arrivée du café qu’il avait commandé, se fredonnant à lui-même quelques passages d’opéra, et de temps en temps se frappant le front de sa main ouverte, comme pour indiquer les moments où le classement de ses idées rencontrait quelque obstacle. L’audace inouïe avec laquelle il s’emparait de la situation où je l’avais placé, pour en faire le piédestal de sa vanité toujours prête à s’étaler aux regards, m’étonnait malgré moi, et pour ainsi dire de haute lutte. Malgré le sincère dégoût que cet homme me faisait éprouver, la force prodigieuse de son caractère, alors même qu’elle se manifestait de la façon la plus triviale, m’impressionnait en dépit de moi-même.

Madame Fosco, en personne, apporta le café. Il lui baisa la main par manière de remerciement, et la reconduisit jusqu’au seuil de la porte ; puis il revint se verser une tasse de café, qu’il emporta sur le bureau.

— Vous en offrirai-je, monsieur Hartright ! dit-il avant de s’asseoir.

Et comme je refusais :

— Comment, dit-il avec gaieté, vous avez peur du poison ? Certes, ajouta-t-il en s’installant devant le bureau, le génie anglais, dans sa sphère plus ou moins bornée, ne manque pas de valeur ; mais il a un grave défaut, — c’est de porter la précaution là où elle n’a que faire…

Il trempa sa plume dans l’encre, plaça devant lui la première bande de son papier que sa large main plaqua bruyamment sur le bureau, s’éclaircit la voix comme s’il allait chanter, et commença son travail. Il écrivait à grand bruit et fort vite, en caractères si gros et si hardis qu’il arrivait au bas de chaque feuillet deux minutes à peine après avoir tracé la première ligne. À mesure qu’il en terminait un, il le lançait derrière lui, de côté ou d’autre, pour en débarrasser le bureau. Quand sa première plume fut fatiguée, il la jeta aussi sur le parquet, et saisit au hasard une de celles qui étaient éparses autour de lui.

Bande après bande, par douzaines d’abord, puis par cinquantaines et par centaines, tombèrent successivement derrière son épaule, à sa droite et à sa gauche,