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effort pour vous-même ! rappelez-vous que je vous reste encore !…

Je laissai aller ma tête sur sa poitrine. En prononçant ces paroles, elle m’avait tout appris.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’était le matin de la troisième journée qui suivit mon retour, — le matin du 16 octobre.

J’étais resté avec elles au « cottage » ; j’avais beaucoup pris sur moi pour leur dissimuler cette amertume qui avait empoisonné la joie que j’éprouvais de me retrouver, auprès d’elles. J’avais fait tout ce que peut un homme pour se relever après un choc violent, pour me résigner à vivre, — pour empêcher mon immense douleur de devenir un désespoir sombre, et la transformer en une tristesse attendrie. Travail sans résultat. Aucunes larmes n’apportaient leur baume à mes yeux brûlants ; je ne trouvais aucun secours ni dans la sympathie de ma sœur ni dans la tendresse dévouée de ma mère.

Ce jour-là je leur ouvris mon cœur. Je laissai enfin échapper de mes lèvres les paroles que j’aspirais à prononcer depuis le jour où ma mère m’avait appris que Laura n’était plus.

— Laissez-moi m’éloigner, m’éloigner seul, leur dis-je, et pour quelques jours. Je porterai mieux ce fardeau, quand j’aurai jeté les yeux, une fois encore, sur l’endroit même où je la vis pour la première fois, — quand je me serai agenouillé, quand j’aurai prié sur la tombe où ils l’ont placée pour qu’elle y repose à jamais…

Ainsi commença mon voyage, — mon voyage au tombeau de Laura Fairlie.

Ce fut par une tranquille après-midi d’automne que je fis halte à la station déserte, et que je partis de là, seul, à pied, par ce chemin si présent à ma mémoire. Le soleil, prêt à disparaître, perçait de ses rayons affaiblis un mince rideau de nuages blancs ; l’atmosphère était tiède et calme ; sur cette contrée solitaire et paisible planait, comme une ombre triste, l’influence de l’année à son déclin.