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Donc, Anne n’était pas découverte ! Pour ce soir encore, nous étions sauvées. Sir Percival n’avait pas retrouvé la trace perdue.

— Vous descendez, Marian ?… Revenez me voir dans la soirée !

— Oui, certainement. Si je remonte un peu tard, n’allez pas vous inquiéter… Il me faut prendre garde de les blesser en les quittant de très-bonne heure…

Le dernier coup sonna et je partis en toute hâte.

Sir Percival conduisit madame Fosco dans la salle à manger, et le comte m’offrit son bras. Il avait très-chaud, il était très-rouge, et ne paraissait pas avoir donné à sa toilette les soins habituels dont il était si prodigue. Était-il donc sorti, lui aussi, avant le dîner, et son retour avait-il été retardé ? ou bien souffrait-il seulement de la chaleur un peu plus qu’à son ordinaire ?

Quoi qu’il en fût, il était, sans aucun doute, en proie à quelque ennui secret, à quelque anxiété cachée que, nonobstant toute sa décevante habileté, il ne pouvait dissimuler absolument. Pendant toute la durée du repas, il ne parla guère plus que sir Percival lui-même, et, de temps en temps, il jetait du côté de sa femme des regards où se peignait une inquiétude furtive que je remarquais en lui pour la première fois.

La seule obligation de société que ce qu’il gardait de sang-froid lui permit de remplir avec sa courtoisie habituelle, fut celle de se montrer toujours obstinément civil et attentif à mon égard. Quel dessein perfide il poursuit ainsi, je n’ai pu encore le découvrir ; mais quel que soit son but, depuis qu’il a mis le pied dans ce château, les moyens dont il s’est résolûment servi pour arriver à ses fins, ont été une invariable politesse envers moi, une invariable humilité envers Laura, et une invariable résistance (coûte que coûte) aux brutales violences de sir Percival. Je soupçonnais déjà ceci lors de sa première intervention en notre faveur, le jour où l’acte fut présenté dans la bibliothèque à la signature de Laura ; maintenant, je fais mieux que le soupçonner : — j’en suis certaine.