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deux canaris, et toute une famille de souris blanches. Lui-même, en personne, donne à ses protégés d’étrange espèce tous les soins qu’ils réclament, et il a su leur inspirer un attachement surprenant, qui se traduit par des familiarités tout à fait inusitées. Le perroquet, perfide et mal intentionné à l’égard de toute autre personne, paraît lui être attaché sans réserve. Dès que sa cage est ouverte, il saute sur le genou du comte et grimpe, s’aidant de ses griffes, le long de ce corps énorme, jusqu’à ce qu’il puisse, par le geste le plus caressant du monde, frotter et refrotter sa crête blanche contre le double menton lisse et blafard de son adoré patron.

Celui-ci n’a qu’à ouvrir aux canaris la porte de leur cage, et à leur adresser un signal d’amitié pour que ces jolis petits animaux, élevés à ravir, viennent se percher sur sa main sans la moindre crainte, gravissent ses gros doigts quand il leur dit de « faire l’échelle » et, parvenus tout en haut de cet escalier improvisé, entonnent un duo à se rompre la gorge. Ses souris blanches habitent une petite pagode de fil d’archal, peinte en vives couleurs, qu’il a lui-même dessinée et fabriquée. Elles sont presque aussi apprivoisées que les canaris, et comme eux il les met à chaque instant en liberté. Elles courent librement sur lui, se glissent sous son gilet, furètent dans ses poches, et vont s’asseoir par couples, blancs comme la neige, sur ses colossales épaules.

On le dirait plus épris de ses souris blanches que de tous ses autres protégés ; il leur fait des mines, les baise et leur donne toute espèce d’amoureux petits sobriquets. Si l’on pouvait supposer un Anglais ayant quelque goût pour des amusements aussi puérils que ceux-ci, cet Anglais, à coup sûr, en serait un peu honteux, et s’en excuserait vis-à-vis des personnes sensées. Mais le comte, apparemment, ne voit rien de ridicule dans le contraste bizarre de sa gigantesque personne et de ses frêles petits amis. Il baiserait tranquillement ses souris blanches, il gazouillerait à l’oreille de ses canaris, fût-ce dans une réunion de « fox-hunters » anglais : et, au moment où ils riraient le plus haut de son étrange manie, il les prendrait