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par miss Halcombe, à l’aversion que les dames professent toujours pour les parties où elles sont en perte.

Le reste de la soirée s’écoula, sans une parole, sans un regard « d’elle. » Elle resta au piano ; je restai à la table de whist. Elle jouait sans s’arrêter, — comme si elle cherchait dans la musique un refuge contre elle-même. Parfois, ses doigts appuyaient sur les notes avec un ralentissement doux, plaintif et tendre, d’une tristesse et d’un charme inexprimables ; ils faiblissaient aussi parfois et trompaient sa volonté, ou bien erraient machinalement sur le piano, comme si la tâche qu’ils accomplissaient leur était un ennui et une fatigue. Mais s’ils variaient, s’ils flottaient en quelque sorte, dans l’expression qu’ils donnaient à la musique, jamais ils ne fléchirent dans leur résolution de jouer jusqu’au bout. Elle ne se leva du piano qu’au moment où nous allions tous nous retirer.

Mistress Vesey était la plus près de la porte et fut la première à m’offrir la main.

— Je ne vous reverrai plus ! Monsieur Hartright, dit la vieille dame ; je suis vraiment fâchée que vous me quittiez. Vous avez été très-bon et très-attentif. Attentions et bontés ne sont jamais perdues quand elles s’adressent à une femme de mon âge. Je vous souhaite, monsieur, toute sorte de bonheurs. Recevez mes meilleurs adieux !

M. Gilmore venait ensuite.

— J’espère, monsieur Hartright, que l’avenir nous garde quelque occasion de faire plus amplement connaissance… Vous êtes parfaitement sûr, n’est-il pas vrai, que cette petite affaire n’est pas tombée en mauvaises mains ?… Oui, oui, cela va sans le dire… Bonté divine, comme il fait froid !… Ne restez pas ainsi devant cette porte… « Bon voyage ! » mon cher monsieur, « bon voyage ! » comme disent les Français.

Suivit miss Halcombe.

— Demain matin, à sept heures et demie, dit-elle ; puis, se penchant vers moi et parlant très-bas, elle ajouta : — J’ai su et j’ai vu plus que vous ne croyez… Votre conduite, ce soir, vous a valu mon amitié pour la vie.