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que j’estimai venu le temps de reprendre la parole… Pouvez-vous me parler sans vous sentir effrayée, sans oublier que je suis un ami ?

— Comment vous trouvez-vous ici ? me demanda-t-elle, sans prendre garde à ce que je venais de lui dire.

— Ne vous rappelez-vous pas ce que je vous disais, à notre dernière rencontre, de mon prochain départ pour le Cumberland ? Depuis lors, j’ai toujours résidé dans ce pays ; je suis toujours resté à Limmeridge-House.

— À Limmeridge-House !… Tandis qu’elle répétait ces paroles, son pâle visage s’illumina ; son regard, errant et vague, s’arrêta sur moi, exprimant un intérêt soudain. — Ah ! dit-elle, que vous avez dû être heureux !… — Et, dans sa physionomie, je ne retrouvai plus la moindre ombre de son ancienne méfiance.

Je profitai de ce premier moment d’abandon pour observer sa figure, avec une attention et une curiosité que la prudence m’avait interdites jusque-là. Je la contemplai, l’esprit encore plein du souvenir de cet autre charmant visage qui, sur la terrasse du château, éclairé par la lune, me l’avait si vivement rappelée. En miss Fairlie, j’avais retrouvé Anne Catherick. Dans celle-ci, maintenant, je retrouvais miss Fairlie ; — et leur ressemblance m’apparaissait d’autant plus nette, que je voyais, du même coup d’œil, en quoi différaient ces deux femmes, en quoi elles étaient pareilles. Leur galbe, pris en général, la proportion relative de leurs traits, la couleur des cheveux, la petite indécision nerveuse dans le mouvement des lèvres, les dimensions de la taille, le port de la tête, l’allure du corps, m’offraient des analogies encore plus frappantes que je ne les avais crues jusque-là. Mais ici finissait la ressemblance, et se présentaient, dans le détail, les points par lesquels elles différaient. La fraîche finesse du teint de miss Fairlie, la limpidité de ses yeux, le satiné de sa peau, la nuance tendre de ses lèvres, qui faisait songer aux fleurs à peine épanouies, manquaient à cette figure usée, fatiguée, qui maintenant se tournait vers moi. Tout en me reprochant cette pensée, je ne pouvais m’empêcher de songer, en la regardant, que le triste