Page:Collectif - Le Livre rose vol 2.pdf/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

— ET POURTANT —

fléchissaient, et son corps, que les fardeaux faisaient plier, annonçait que pour lui c’était une cruelle obligation que ce travail forcé. Cet homme, qui semblait avoir vingt-cinq à trente ans au plus, ne connaissait aucun des tailleurs de pierres ni des maçons, et n’était admis à les servir que depuis peu. Tout semblait nouveau pour lui : mœurs, fatigues, habitudes, et jusqu’à son vêtement ; c’est que cet être au teint blême, à l’air triste était... une femme, une veuve, mère de plusieurs enfans.

L’insuffisance de son travail à l’aiguille l’avait forcée de quitter le quartier où elle était connue, et de chercher ailleurs, sous les habits d’un autre sexe, tous les genres de travaux dont le salaire plus considérable pût au moins subvenir à ses stricts besoins et à ceux de ses six enfans. Cette obligation de se faire homme donna depuis à son caractère une rudesse apparente sans jamais altérer sa sensibilité : elle ne conversait avec aucun de ses voisins, et le soir, quand elle rentrait, apportant à ses enfans du bois pour les chauffer, du pain pour les nourrir,... elle leur souriait ;... puis une partie de ses nuits était empruntée au sommeil pour réparer leurs vêtemens déchirés, tandis qu’eux, au moins, dormaient sous sa garde. Elle les contemplait sur leurs lits de paille, et la vue de leurs petites joues sur lesquelles l’oubli de la vie ramenait les roses, relevait son courage