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l’empicassement est infaillible. On peut aussi cracher sur l’objet, mais ce n’est pas absolument indispensable.)

La pauvre Luce m’a dit : « Va, tu ne crois pas que je serai malheureuse. Mais tu verras, tu verras ce que je suis capable de faire. J’en ai assez, tu sais, de ma sœur et de sa Mademoiselle. Il n’y avait que toi ici, je n’avais du goût qu’à cause de toi. Tu verras ! » J’ai embrassé beaucoup la désolée, sur ses joues élastiques, sur ses cils mouillés, sur sa nuque blanche et brune, j’ai embrassé ses fossettes et son irrégulier petit nez trop court. Elle n’avait jamais eu de moi autant de caresses, et le désespoir de la pauvre gobette a redoublé. J’aurais pu, pendant un an, la rendre peut-être très heureuse. (Il ne t’en aurait pas coûté tant que ça, Claudine, je te connais !) Mais je ne me repens guère de ne pas l’avoir fait.

L’horreur physique de voir déplacer les meubles et emballer mes petites habitudes me rendit frileuse et mauvaise comme un chat sous la pluie. D’assister au départ de mon petit bureau d’acajou taché d’encre, de mon