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PROMENADE EN HOLLANDE.

le nez aquilin semble un anachronisme sur ces faces placides ; mais le nez aquilin a remplacé partout en Hollande le nez batave : c’est le nez juif qui triomphe ; le croisement des races a été profond. On place dans des assiettes, devant le père et les quatre enfants, des pains ronds bourrés d’une énorme tranche de jambon fumé ; les flacons aux épices se dressent comme une forteresse. Les placides Hollandais en font jaillir tour à tour le poivre gris, le gingembre et le piment sur la tranche de jambon, qu’ils recouvrent après de sa couche de pain. Chaque dégustateur a devant lui un cruchon de bière noire qu’il répand lentement dans un grand verre en forme de cornet, et dont il arrose cette infernale salaison. À chaque table où sont assis des Hollandais, ce sont les mêmes lignées de petits pains, de flacons d’épices, de cruchons de bière et de grands verres.

Un jeune père à la figure rêveuse et douce, avant d’endormir sur ses genoux son enfant, belle petite fille blanche et rose de quatre ans, lui administre la tranche de jambon saupoudrée d’ingrédients, et lui fait avaler la boisson noire. L’enfant s’y prête en souriant et s’endort. Quelques jeunes filles boivent à mes côtés du genièvre. On me regarde avec ébahissement quand je demande un verre d’eau. Je remonte sur le pont pour aller respirer, La Meuse s’élargit. La lune souriante, dans des nuages blancs,