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PROMENADE EN HOLLANDE.

l’embouchure de la Meuse, de façon que tout Rotterdam sut que les fiançailles n’étaient point rompues et que les deux mariages s’accompliraient tôt ou tard. On ne vit dans le départ de Georges et de Guillaume qu’une spéculation d’affaires qui parut fort naturelle à nos sérieux commerçants.

Quand nous vîmes la pleine mer et qu’il fallut quitter le navire pour le bateau à vapeur qui devait nous ramener à la ville, je considérai ces quatre femmes dont certainement le cœur se brisait. Les deux mères affectèrent un stoïcisme de matrones romaines ; mais leur pâleur était mortelle. En ce moment peut-être auraient-elles voulu retenir leurs deux fils. Marguerite s’efforçait de sourire, et elle dit à Guillaume, en l’embrassant : « N’allez pas au moins aimer là-bas quelque belle Indienne. » Rosée seule s’affaissait, défaillante, au bras de Van Hopper. Elle était blanche et défaite comme une jeune morte ; ses yeux regardaient fixement la mer et l’horizon : peut-être entrevit-elle en cet instant, avec clairvoyance, les longues années de souffrance d’une jeunesse déçue. Georges et Guillaume nous embrassèrent tous tendrement et bruyamment, comme pour s’étourdir. Le bateau à vapeur réclama ses passagers, on nous hissa sur le pont. Les deux fugitifs étaient debout sur l’avant du navire : ils nous saluèrent longtemps en agitant leurs mouchoirs. Van Hopper et moi leur répondions seuls. Les quatre femmes res-