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nouvelle pour lui. Je reniais les maîtres, s’écriait-il ; où donc allais-je puiser mon style et mes idées ? de qui donc étais-je sorti ? tout à coup s’arrêtant devant ma mère, qui m’écoutait en souriant, il lui dit avec une colère comique : « Madame, de qui donc sort cet enfant ? il ne me ressemble en rien : c’est le bâtard de son grand-oncle ! »

Ma mère partit d’un éclat de rire auquel nous fîmes tous écho, mon père le premier, quoiqu’il répétât en gesticulant : « Mauvaise souche ! mauvaise école ! »

À mesure qu’Albert parlait, son visage se ranimait, ses yeux pétillaient ; j’admirais la flexibilité de ce charmant génie.

Il poursuivit :

— Vous vous êtes étonnée l’autre jour de mon habileté à battre des blancs d’œufs ! Apprenez, marquise, que durant huit jours de ma vie, je me suis fait cuisinier.

— Je devine, cuisinier par amour.

— Voilà encore que vous prononcez le mot cabalistique, reprit-il, mais cette fois-ci je continue sans m’y arrêter : Au temps où je fréquentais le quartier latin, avant d’avoir connu tout à fait l’amour (triste connaissance), j’avais essayé de l’amour sous toutes les formes du caprice. Je rencontrai un soir au bal de la Chaumière une grisette ravissante, ne riez pas ; le type des grisettes est perdu aujourd’hui, elles sont toutes devenues des lorettes. Ma grisette était une sorte de Diana Vernon plébéienne, effarouchée comme une mésange et très-fière de sa gentillesse ; elle était patronnée par un