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blierai jamais ma belle, de quelle façon tu m’as regardé !

Le gardien avait fait descendre mon fils de sa monture et nous avait prévenus que c’était l’heure du repas des animaux féroces. Nous nous rendîmes dans la longue galerie où étaient enfermés les tigres, les lions et les panthères, dont les rugissements terribles se faisaient entendre au dehors ; une odeur âcre et fauve remplissait cette galerie très-chaude. On se sentait pris à la gorge et comme étouffé en y pénétrant. La pâleur d’Albert s’empourpra subitement, et ses yeux brillèrent d’un feu étrange. Cet air lourd et malsain lui portait à la tête, et lui causait une sorte de vertige. D’abord je n’y pris pas garde, occupée à éloigner mon fils des barreaux de fer, et à contempler la magnifique posture de deux tigres, allongés et tranquilles, qui, tout à coup, s’élancèrent d’un bond furieux sur les tronçons de viandes saignantes qu’on venait de leur jeter. Albert nous suivait à distance et sans me parler. Il semblait ne rien voir et ne rien entendre. On l’eût dit absorbé par une vision intérieure.

Je m’étais arrêtée devant la cage d’un colossal lion du Sahara, arrivé depuis peu de nos colonies africaines. La superbe bête, reposait majestueusement, la tête appuyée sur ses deux pattes de devant, dont les ongles recourbés se dissimulaient sous de longs poils roux. Ses yeux ronds nous regardaient sans méchanceté, il se leva lentement et comme pour nous faire fête ; il secoua contre les barreaux sa vaste crinière dorée, elle était si soyeuse et si brillante qu’elle attirait invo-