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gante, si cette femme n’est pas défendue par un entourage qui leur impose ou par la fortune ; la pauvreté les provoque et les pousse à la tentation et à la profanation ; comme ils n’ont jamais touché dans leur laideur qu’à de pauvres filles vendues, ils se figurent qu’avec une bourse pleine ils auront raison de toutes les répulsions des sens et de toutes les fiertés de l’âme ; quelle joie on éprouve à les bafouer !

Quand Duchemin eut ressaisi son portefeuille et se fut remis sur ses pieds, je le poussai vers la porte et je la refermai sur lui.

Il ne me pardonna jamais cette scène-là ; il devint mon ennemi et empêcha son libraire Frémont de publier aucune de mes traductions.

À peine était-il sorti, que je fus prise d’un fou rire ; toute sa personne se représentait devant moi dans son attitude bouffonne. Je riais si fort que ma vieille servante vint me dire que j’allais réveiller mon fils. J’avais dans ce temps de ces bonnes gaietés-là ; et je les racontais de même que mes tristesses, et tout ce que je voyais et tout ce que j’éprouvais à ce Léonce, que j’aimais tant. Son nom vient de m’échapper ; il était nécessaire à la clarté de ce récit ; mais je ne le prononce jamais qu’avec une douloureuse hésitation ; en montant de ma gorge à mes lèvres il y fait toujours passer une saveur profondément amère.

Je lui écrivis sur l’heure la scène étrange qui venait de se passer ; il avait vu autrefois Duchemin dans une tournée en province qu’avait faite le grand homme,