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occupé. À peine si nous faisions quelques allusions à elle quand, devant lui, on me remettait ses lettres.

Dès le premier jour de ma disparition inattendue, Antonia m’avait écrit trois fois pour m’exprimer son anxiété, sa surprise, son chagrin ; elle recommença les jours suivants, et je dois dire que ses premières lettres ne trahissaient qu’une affection inquiète ; mais comme je gardais un silence obstiné, elle finit par éclater en reproches et m’accuser en termes offensants de ne me séparer d’elle que parce que j’avais peur de la défendre contre ceux qui l’insultaient. Je dus pâlir en recevant cette lettre, car Albert Nattier, qui était présent, me dit involontairement :

— Qu’as-tu donc ?

— Tiens, lis, répliquai-je en lui tendant la lettre, et réponds-lui pour moi.

— Tu m’y autorises ?

— Je t’en prie. J’ai eu cette dernière faiblesse ; j’ai voulu l’entendre encore une fois dans ses lettres, maintenant je sens que tout est bien fini ; il faut qu’elle le sache par toi ; tu seras entre nous comme un de ces murs rugueux et froids qui séparent les prisonniers dans les geôles.

Tandis que je parlais, il écrivit d’une main rapide le billet suivant :

« J’ai empêché Albert de se battre pour vous, parce qu’un jour où il se mourait, à Venise, vous vous êtes donnée à Tiberio ; je l’ai su par Tiberio lui-même !