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vant elle, ou bien je lui aurais tendu les bras et l’aurais emportée je ne sais où pour l’aimer encore.

Afin de l’éviter et de repousser son image irritante, je travaillais tout le jour, et chaque soir j’allais dans les salons où j’étais certain de ne pas la rencontrer. Mais quand j’écrivais, un spectre qui avait ses yeux se tenait toujours debout vis-à-vis de moi ; et dans le monde, lorsque je parlais tendrement à une femme, ce que je disais me semblait un écho affaibli et discordant de ce que je lui avais dit tant de fois. Bientôt, voulant me distraire violemment, je retournai chez les courtisanes que m’avaient fait connaître Albert Nattier, et j’essayai de la débauche sans scrupule.

Ma santé, qui était revenue, augmentait encore la véhémence de mon chagrin. À quoi donc me servaient les forces de ma jeunesse ? Parfois désespéré de ces nuits honteuses où se consumait mon énergie, j’aurais voulu faire quelque action héroïque, me vouer à quelque cause glorieuse et mourir comme Byron. Mais l’Europe était en paix, et les idées qui font les nobles guerres ne fermentaient plus dans les cœurs.

Un matin, je lus dans un journal que le prince qui avait été au collège mon compagnon d’étude, allait se battre en Afrique à la tête de nos soldats. Je me présentai chez lui ; il me reçut, comme il le faisait toujours, avec une cordiale amitié.

— Monseigneur, lui dis-je, je viens vous demander une grâce.