Page:Colet - Lui, 1880.djvu/285

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 264 —

Je la considérais avec désespoir ; il était bien évident qu’elle ne m’aimait plus.

Lorsque Albert Nattier rentra de sa promenade avec le docteur, je lui trouvai le visage bouleversé ; il profita d’un moment où nous étions seuls pour me supplier de rentrer de suite en France, soit en partant le lendemain avec lui si je m’en sentais la force, soit en le rejoignant dans quelques jours à Milan, d’où nous gagnerions ensemble le mont Cenis.

Je m’étonnai de son insistance.

— Mais Antonia ? lui dis-je.

— Songe à ta famille, répliqua-t-il ; toute agitation t’empêchera de guérir ; l’atmosphère de Venise ne te vaut rien, il te faut l’air natal. Il consulta Tiberio qui survint en ce moment ; celui-ci fut de son avis, mais un départ immédiat lui sembla impossible ; j’étais encore trop faible pour supporter les fatigues de la route.

Albert Nattier partit le lendemain ; nous pleurâmes en nous séparant, ce qui nous surprit un peu, car la raillerie et une sorte de scepticisme contenait ordinairement notre amitié. Il me semblait, en le quittant, que je ne le reverrais jamais, que la mort allait me frapper dans cette ville étrangère, loin de tous ceux dont il venait de ranimer en moi le souvenir. Hélas ! c’est mon cœur qui devait mourir ; c’est sa cendre que Venise a gardée.

Les jours suivants, je pus me lever. On me porta, sur un large fauteuil, près de la fenêtre de notre salon qui s’ouvrait sur le Grand Canal. Tout mouvement m’é-