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l’esprit. Je portais ce soir-là une robe de velours noir qui m’emprisonnait jusqu’au cou ; mes cheveux, frisés à l’anglaise, retombaient en longues boucles abondantes de chaque côté de mes épaules enfermées. Des traînées de liserons blancs entouraient le chignon et flottaient par derrière. Cette coiffure aurait pu être gracieuse, se dégageant sur le nu ; mais, amoncelée sur le velours noir du corsage, elle n’était qu’étrange. Quand j’entrai dans le salon de l’Arsenal les lectures et la musique étaient finies ; une jeune fille au piano jouait le prélude d’une valse. On me regarda beaucoup car, excepté pour le maître de la maison qui avait connu mon père, j’étais pour tous ceux qui étaient là une étrangère. Un jeune homme, que plusieurs femmes complimentaient, s’avança tout à coup vers moi et m’invita à valser.

Je lui répondis que je ne valsais jamais.

Il me salua, tourna les talons et je le vis, une minute après, passer en valsant devant moi ; il tenait enlacée une jeune femme brune, la muse aimée de ce salon.

— Pourquoi donc avez-vous refusé de valser avec Albert de Lincel ? me dit le maître de la maison.

— Quoi, c’était lui ! lui ! m’écriai-je ; lui que je désirais tant connaître !

— Lui-même ! il valse en ce moment avec ma fille.

Je me mis à considérer le valseur : il était svelte et de taille moyenne, habillé avec un soin extrême et même un peu de recherche ; il portait un habit vert bronze à boutons de métal ; sur son gilet de soie brune