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cré ; je la contemplais avec ravissement et je me disais : — On devrait encore l’adorer.

Elle sembla deviner ma pensée, car elle s’écria tout à coup :

— Mieux vaut ne pas être aimée que de l’être mal ou de l’être à demi ; pour une âme ardente l’hésitation et l’inquiétude sont pires que le désespoir. Je dois à la tranquillité que j’ai acquise l’adoration de la nature et le bien-être que me donne ce beau soir.

Ne parlons plus de moi, parlons de lui : c’est par une journée semblable qu’il mourut, il y a deux ans ; je n’aime pas qu’on touche si vite à la chère poussière des morts, et j’aurais voulu qu’on laissât la sienne reposer encore quelques années ; mais il est des cendres glorieuses qui se soulèvent d’elles-mêmes ; leur éclat attire les regards investigateurs ; l’envie s’attaque aux spectres comme aux vivants, et parfois l’amour irrité les outrage ; c’est alors que l’amitié leur doit la vérité, cette justice éternelle.


ii


Avant de vous dire comment je le connus et comment nous nous liâmes, laissez-moi vous raconter comment je le vis passer tourbillonnant dans une valse, en 1836. L’apparition rapide du jeune homme de génie qui glissa un jour devant moi, en balançant avec grâce sa tête