Page:Colet - Lui, 1880.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 140 —

couchés sur un lit de feuillage. Nous partimes un matin par une température très-chaude, nous portions suspendus en bandoulière de petits havre-sacs renfermant des provisions. Jamais Antonia n’avait été si gaie ; elle bondissait comme un chevreuil à travers les sentiers difficiles ; j’avais peine à la suivre dans son élan ; tantôt elle jetait les sons de sa belle voix perlée aux échos qui les répercutaient à l’infini ; tantôt elle entonnait un chant rustique de son pays. Puis elle butinait toutes les plantes et toutes les fleurs sauvages qu’elle rencontrait ; elle m’en disait les propriétés et les noms ; elle avait fait à la campagne des études pratiques de botanique et connaissait à fond l’ingénieuse science de Linnée et de Jussieu, qu’elle poétisait par l’expression ; je la regardais et l’écoutais ravi ; elle était redevenue aimante, simple, bonne, vraiment grande, elle s’harmoniait avec l’immense nature. Nous fîmes une halte près d’une source qui surgissait au pied d’un rocher. Nous nous assîmes sur l’herbe fine pour prendre notre repas du matin ; je la servais et j’allais lui puiser à boire dans le creux de mes mains. Le déjeuner fini, j’exigeai qu’elle fît une heure de sieste et reposât ses jolis petits pieds qui couraient si bien. Pour la bercer, je la pressai longtemps silencieusement sur mon cœur ; elle finit par s’endormir, et je la regardai en extase, soutenant sa tête sur mon genou ployé. J’étais aussi un peu las de notre longue marche, mais trop agité par mon bonheur pour que le sommeil pût me gagner. Je suivais la palpitation de ses longs cils noirs sur ses