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— Ce sacrifice a sa grandeur, repris-je, et lorsque nous nous reverrons notre bonheur s’en ressentira : il sera plus intense et plus complet.

— Je m’étonne parfois de votre esprit philosophique, répliqua René ; car vous avez une âme crédule faite pour tous les martyres. Léonce vous a dit que, sa tâche accomplie, il serait tout à vous ; et moi j’ai peur que, son œuvre faite, fût-elle informe et vulgaire, il ne soit tout à elle. Une passion abstraite, poussée à l’excès, atrophie le cœur.

Ces paroles de René jetèrent sur mon amour un vague effroi.

— Si je n’étais attendu à Versailles par mon frère malade, je vous forcerais à sortir aujourd’hui même, reprit René ; à mon retour, je viendrai vous chercher, et nous irons respirer l’air des bois avec votre fils. D’ici là, promenez-vous un peu en compagnie d’Albert ; vous lui faites du bien, il n’est plus le même depuis qu’il vous connaît. Et, me serrant cordialement la main, René sortit en me répétant : Courage !

Il faisait une de ces journées chaudes et énervantes qui produisent sur les organisations méridionales des orages intérieurs : on sent d’abord comme une grande lourdeur, puis le pouls bat plus vite, puis des bouffées brûlantes montent au cerveau ; l’esprit flotte indécis dans les bouillonnements du sang, ainsi qu’une liane emportée sur l’écume d’un torrent ; l’âme se déracine ; la volonté, la résistance sont anéanties par les forces formidables de la nature. Froids et faux moralistes