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frappait dans son orgueil, mais elle se redressa tout à coup en éclatant de rire, et me dit :

— Je vous savais là, je vous avais vu, je voulais vous éprouver !

— Eh bien ! princesse, l’épreuve est faite, répondis-je sur le même ton, j’ai assez de votre hospitalité et je m’ennuie chez vous. Toute cette musique m’empêche de dormir ; que monsieur, qui me semble un peu le maître de maison, veuille sonner un domestique, qu’on m’habille, qu’on me mette en voiture et qu’on me conduise à Paris.

Le pianiste se mordait les lèvres, mais il fut contraint d’obéir à un homme blessé, en chemise, et que la souffrance contraignait à se laisser tomber sur un canapé. La princesse fit les plus aimables mais les plus vaines instances pour me retenir. Je donnai à ses gens d’énormes étrennes comme pour payer la dépense que j’avais faite chez elle. Quand sa berline qui me conduisait partit, elle me cria avec un accent de certitude accompagné d’un sourire :

— Vous me reviendrez !

Il y a de cela dix ans, jamais je n’ai songé à la revoir.

— C’est donc une manie de ces femmes à effet, dis-je à Albert que la passion des pianistes ? à l’exemple de la princesse, la comtesse de Vernoult s’est éprise d’un de ces héros de clavier ; et, pour agrandir sa passion par le bruit, ne pouvant l’agrandir par l’objet, elle a enlevé l’inspiré ! le Dieu de l’art, comme elle