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LES CAHIERS

le nom de mon bon camarade.) Et mon père s’en va.

Alors la conversation s’engage : « Tu es de bien loin d’ici ? me dit-il. — Je suis du Morvan. — C’est donc bien loin le Morvan ? — Oh ! non, cinq lieues. M. Coignet connaît mon pays. Il y a dans les environs de chez nous un village qui s’appelle le village des Coignet. — Ah ! ce vilain homme a perdu ses quatre enfants ; nous avons pleuré, nous deux mon frère, de si bons camarades[1] ! Nous étions toujours ensemble ; ils ont perdu leur mère bien jeunes ; ils eurent le malheur d’avoir une belle-mère qui les battait tous les jours. Ils venaient chez nous, et nous leur donnions du pain, car ils jeûnaient et pleuraient, ça nous faisait de la peine. Nous prenions du pain dans nos poches, et nous le leur portions pour le partager à nous quatre. Ils dévoraient, c’était pitié à voir. Mon frère me dit : « Allons voir les petits Coignet, il faut leur porter du pain. » Mais quelle est notre surprise ! Les deux plus vieux étaient partis sans qu’on puisse les trouver. Le lendemain, point de nouvelles. Nous disons ça à papa, qui nous dit :

  1. Il fallait que ses quatre années passées dans les champs et dans les bois eussent en effet bien changé notre héros, pour qu’il ne fût reconnu par aucun des siens. Le fait paraîtrait invraisemblable si Coignet ne se distinguait par la sincérité des détails. Il convient aussi de faire remarquer qu’à la campagne et surtout dans une famille où la marmaille est nombreuse, on ne se grave pas dans la mémoire aussi bien qu’à la ville les traits d’un enfant. Puis, de huit à douze ans, l’enfant lui-même peut changer beaucoup.