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DU CAPITAINE COIGNET.

major vient nous placer ; c’était moi le premier pour la faction ; on me met dans un pré en me donnant la consigne : « Tout ce qui viendra de votre droite, il faut faire feu, ne pas crier qui vive et bien écouter, sans te laisser surprendre. »

Me voilà seul pour la première fois en sentinelle perdue, ne voyant pas clair du tout, et mettant mon genou à terre pour écouter. Enfin la lune se lève ; j’étais content de voir autour de moi, je n’avais plus peur. Voilà que j’aperçois à cent pas un grenadier hongrois avec son bonnet à poil. Ça ne bougeait pas ; je l’ajuste de mon mieux, et à mon coup de fusil, toute la ligne répond[1]. Je croyais que l’ennemi était partout ; je recharge mon fusil, et le caporal arrive avec ses trois hommes. Je lui montre mon Hongrois ; on me dit : « Tirez dessus et nous irons voir tous les cinq. »

J’ajuste, je tire, rien ne bouge. L’adjudant-major arrive : « Tenez, lui dis-je, le voyez-vous, là-bas ? — Tirez », dit-il.

Je donne mon second coup, et nous marchâmes dessus. C’était un saule à grosse tête qui m’avait fait peur… Le major me dit que j’avais bien fait, qu’il y aurait été trompé lui-même, et que j’avais fait mon devoir.

Nous marchâmes sur Vicence, jolie ville ; mais les Autrichiens filaient sur Padoue à gran-

  1. Nos soldats ont aussi connu ces paniques ; ou voit qu’elles sont de tous les temps.