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de Lisle. Mais vite la personnalité ressaisit son poète, qui pose cette couronne sur le berceau des hommes :


Blond pays du soleil et des vastes aurores,
Orient, ton ciel large a couvé les esprits ;
Et ton sein, palpitant sous des frissons sonores,
Du lait de l’idéal ton sein les a nourris.

Les divines moissons ont fleuri sur ta terre.
.     .     .     .
Orient ! Orient ! toute âme calme et fière
Comme un trésor sacré garde ton souvenir,
Car ta tradition est la vive lumière
Qui, du lointain des temps, jaillit sur l’avenir.


Puis il remarche vers l’autre pôle, si ardemment espéré :


Dédaigne le présent qui murmure en fuyant.

Il t’insulte, il te hait. Que t’importe sa haine,
À toi dont le courage, acceptant le destin,
De l’époque des dieux va vers l’époque humaine,
Et du passé sans fond à l’avenir sans fin ?

Ô poète, ton sein qui le contient, frissonne
Sous la gestation du nouvel idéal.


Toutefois le passé ne se quitte pas aisément ; ce séducteur a des agréments pour tous, et notre poète s’attarde avec joie près d’Aphrodite. N’est-ce pas fatal ? Dès que l’on déserte la foi au Dieu unique, on rencontre les dizaines de dieux du paganisme. Charybde et Scylla de l’idéal ! Le paganisme doit plaire à une âme plus active que contemplative, qui se précipite en pleine nature et par conséquent aime des dieux, entités visibles de cette nature, plutôt qu’un Dieu, son ordonnateur invisible. Quand le poète ou l’artiste dépasse les formes palpables, il est moins artiste ou poète, il commence à devenir apôtre. Or, c’est tout le poète, rien que le poète, qui évoque, pour fortifier son idée moderne, le vieil Océan, le Chaos, et la nature largement épanouie autour de l’homme, son dompteur séculaire. L’homme est Dieu ! s’écrie-t-il en son enthousiasme. Et par ses vers ardents, mais sans cesse ordonnés, Ricard dépeint l’odyssée longue, variée, de la lutte contre les éléments, de l’amour qui enfante l’harmonie et de la haine qui fonde l’histoire ; les chefs, les rois et les reines, les héros, dont les Égyptiens firent des dieux et des déesses qu’acceptèrent la Grèce et Rome : Uranus, Cybèle, Saturne, et les autres, revivent d’une vie énorme, où les mers roulent en tumulte leurs troupeaux de vagues, où la terre projette violemment ses lourds feuillages vers un ciel plein de foudre et d’éclairs. Mais d’un nid d’écume ruisselante d’aurore, Vénus se lève, et le poète se fait peintre pour ressusciter les tableaux où triomphe la païenne consolatrice. Le poème, jusqu’ici grondant et abrupt, s’achève en un hymne d’amour à la beauté,