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Au soir de la pensée

émotivement capable d’affronter le destin que l’expérience du monde lui découvre. Éphémères dominateurs d’éléments auxquels le dernier mot de la domination se trouve réservé, la fortune nous est imposée de naître et de mourir selon des compositions de phénomènes où nous faisons figures d’instantanés. Des éclairs de connaissance et des fumées de rêve font les beautés et les mystères des espaces célestes qui nous appellent et nous repoussent tour à tour. Que notre ambition de parvenus demande plus encore, qu’importe-t-il si c’est toujours la loi du Cosmos qui doit prévaloir ?

Nous considérer dans nos dimensions positives, pour nous développer en direction d’un « idéal » correspondant aux destinées cosmiques, qui ne peut nous montrer la voie qu’à la condition de nous dépasser, cela suffit à établir le repère lumineux du sillage d’où nous inférons l’étoile à laquelle nous avons marché. N’est-ce pas ainsi que fit l’astronome calculant la planète hypothétique révélée par les actions et réactions du système ? Nous ne cherchons plus notre destinée dans les astres. Nous avons même appris à la repérer dans des états de connaissance, dans nos inclinations, dans nos volontés, dans nos actes de bien et de mal, avec les conséquences qu’il appartient.

Rapportées au verbalisme d’idéal dont nous menons si grand tapage, nos activités peuvent paraître d’un médiocre effet. Cependant, beaucoup feraient figure d’assez beaux accomplissements si notre modestie les considérait du point de vue de nos faiblesses natives. Nous réaliser dans l’âpre et noble effort d’un désintéressement supérieur, nos religions nous le demandent depuis de longs siècles, sans avoir pu mieux obtenir de nous que l’indifférence ou les gestes rituels du do ut des. De notre simple compréhension des choses, pouvons-nous mieux obtenir ? Il n’est pas impossible si nous nous trouvons capables de nous réaliser dans nos éléments de grandeur dont la connaissance du monde et de nous-mêmes est le point de départ.

Trop longtemps dévoyés par les mirages du Cosmos, avons-nous vainement cherché par delà les nuées, une puissance d’ « idéal », mystiquement personnalisée, à laquelle aurait incombé l’entreprise de nous réaliser par l’effet de la grâce divine au lieu de notre propre effort. Ne saurions-nous donc accomplir de nous-mêmes le plein achèvement de notre vie au lieu de l’attendre