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au soir de la pensée

propres moyens, des éléments de l’univers, en vue de nos fins humaines, réclamera le secours de « l’illusion féconde, » bienvenue des hardis batteurs de murailles qui assiègent l’univers de leurs questions sans relâche. Cependant, les résistances de la place imprenable ne permettent d’en rien attendre au delà d’une brèche aux bastions : modestes prévisions des plus grandes espérances. Modération et ambition supérieures : telles sont les deux vertus contradictoires que l’événement exige de nous.

Si loin que nous ayons pu nous laisser entraîner par le sursaut des émotions primitives, comment ne pas marquer un temps de méditation aux premiers problèmes du « devenir » ? J’observe des phénomènes d’évolution : je puis, pour une durée, en remonter le cours, comme d’un fleuve qui s’écoule, mais, pour ce qui est des voies indéterminées où son courant l’engage, plus hasardeuse aura été la conjecture d’inconnu, plus prompte sera la foule à s’y précipiter.

Quelle issue de l’évolution humaine ? Aux essais de réponse, l’imagination, jusqu’à ce jour, a eu trop d’avantages, avec ses féeries, sur les pâles « Que sais-je ? » d’une connaissance brièvement épuisée. Ce que le « devenir » fera de l’humanité vivante peut être le sujet de toutes spéculations. L’idéalisme facile de la place publique excelle aux trouvailles de vocables propres à suggérer tous mouvements d’espérances puériles canalisant des tumultes d’idéologie.

La question, cependant demeure de la fin de notre existence. La destinée planétaire, la destinée humaine se montrent invinciblement liées : liées dans le passé, dans le présent, dans l’ « Et après ». Du passé, la foule ne se préoccupe guère. Du présent, il nous chaut moins qu’il ne semble — éternellement penchés sur de fragiles anticipations, ou figés même dans la puérile attente d’une hallucination réalisée. Comme l’arbre puissant courbé par l’ouragan des âges, nous avons vu les plus grands esprits (il suffit de citer Newton) ne se pouvoir déprendre de l’atavique fléchissement de connaissance qui nous garde inclinés aux visions paradisiaques d’une humanité surhumaine.

Pour ce qui est de l’ « Et après », au point d’intellectualité où nous en sommes venus, tout « croyant » se fait, dans l’intimité de lui-même, un paradis à sa mesure, laissant à la Providence le soin de concilier sa totale bonté avec l’éternité des châtiments