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Les âges primitifs

aujourd’hui, il faut des prodiges d’agilité, et la seule contemplation demande une posture qui ne peut être de longue durée. Du haut de son échelle vacillante, à la Sixtine, Michel-Ange, se disputant avec Jules II qui voulait voir avant l’heure, contre le gré du maître, n’est pas sans points de comparaison avec cet étrange peintre, acrobate des cavernes, qui devait se fixer dans une attitude de torture au plus profond de l’obscurité. Nuit complète ! Il fallut que nos gens eussent des manières de torches pour s’éclairer. La fumée ? Pas de traces. Nos chimistes, paraît-il, consentent qu’elle ait disparu. Mais comment éviter qu’elle se déposât sur le trait entaillé comme sur la couleur ? L’artiste qui n’avait pas le modèle sous les yeux devait assister, avec les changements d’« éclairage », à de perpétuelles transpositions de « valeurs ».

Les images sont là où elles sont, et, comme elles sont, il faut les accepter. Tous les cultes sont pleins de mystères : rien n’est plus propice aux extases que l’inconnu de l’obscurité. Je m’en rendis bien compte lorsque dans l’atmosphère étouffante de cet étrange temple souterrain d’Allahabad — prolongement possible des traditions de la caverne — je tâtonnais, obsédé d’une odeur nauséabonde, à la lueur d’une petite lampe, parmi les dieux peinturlurés de l’Inde, dans les remous de fantômatiques fidèles apportant silencieusement leurs offrandes de fruits et de fleurs destinées aux pieuses putréfactions. Encore, dans les détours les plus obscurs, les Anglais ont-ils sagement fait entrer un peu de lumière. Qu’est-ce que ce pouvait être auparavant ?

    s’obstinent à le faire encore des esprits prévenus, pour épargner à leur culte les compromissions d’un tel voisinage. Magie, théurgie, sont une doctrine de pratiques pour mettre l’homme directement en rapport avec les Puissances invisibles, et même pour s’en faire obéir s’il le peut. N’est-ce pas ainsi même que notre sacerdoce a voulu, par les prières, les extases, les visions, la communion surtout, placer le fidèle en rapport direct avec son Dieu ? Les premiers rites brahmaniques se proposaient de forcer la volonté divine. Nos rites actuels s’y emploient de leur mieux, mais sans chances suffisantes de succès. La magie, avec ses prétentions à l’efficacité, trouve sa place de rite à l’origine de tous les cultes. Elle subsiste chez nos sauvages. Elle florissait encore sous Louis XIV, quand Mme de Montespan faisait dire la messe noire sur son corps dévêtu pour ramener le royal amant. On trouve encore l’idée de magie au plus profond d’âmes mal civilisées. Cependant, l’homme rationnel évolue.