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LES HOMMES, LES DIEUX

réaliser dans tous les esprits l’unité de la connaissance humaine. Les cultes, jusqu’à ce jour, n’ont pu que s’entre-déchirer. Cependant, l’enquête d’expérimentation poursuit sa route, impassible, et sur ses relativités mêmes se fonde ce consensus universel que la « Révélation » grandiloquente n’a pu réaliser. La philosophie positive du monde et de l’homme s’est donné pour tâche de coordonner les doctrines de généralisations parmi lesquelles la métaphysique exerce encore ses ravages. Fera-t-elle un jour l’unité parfaite du monde pensant ? La libre disposition des moyens organiques et la diversité des caractères ne me permettent pas de le croire. Relativité et unité totale s’excluent trop clairement.

La connaissance humaine veut le courage de différer. Les divergences ancestrales des esprits sont encore trop profondes pour être ramenées, en des temps accessibles, à d’universelles prévisions de cohérence générale dont on puisse faire état. Prenons acte de ce qui est. Et, contrairement aux apparences, la difficulté sera peut-être moins encore des doctrines elles-mêmes que des intérêts généraux qui viennent s’y agglomérer. Les opinions les plus bruyantes ne poussent pas nécessairement leurs racines jusque dans les ultimes profondeurs du Moi conscient. Contradictions d’intérêts ou de croyances, rien ne donne à penser, dans l’histoire des évolutions accomplies, que les hommes pourront cesser un jour, puisque divers, d’être intellectuellement divisés. Dans l’ordre dispersé se déroule la marche à la connaissance. Le mobile consensus ne peut se faire que sur des parties d’observation vérifiée.

Dans les champs de l’imagination, comme sur les interprétations mêmes de l’expérience, l’occasion de se contredire ne cessera d’être prodiguée à nos neveux jusqu’aux éclats de lumière sur quelque point que ce soit. Ce n’est pas la science, c’est l’Église qui a besoin d’un assentiment silencieux. Sur les données acquises de la connaissance, qui vont toujours croissant, l’accord universel continuera de se faire, de se développer, sans aucune peine, tandis que la « Révélation » cherchera vainement des auditeurs à foudroyer. Dans la complète liberté de dire, la science, impassible, poursuivra son chemin.