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AU SOIR DE LA PENSÉE

qu’avec une extrême prudence en ces considérations redoutables. Une élémentaire probité ne m’a pas permis de m’y dérober.


L’abstraction.


Ayant pris acte du phénomène organique et des vertus d’un subtil accomplissement où se découvre le plus haut effort de l’homme pensant, quoi de plus naturel que de se demander si la délicatesse du mécanisme ne comporte pas d’inévitables dangers ! L’abstraction qui fixe d’un signe vocal un caractère fictivement détaché de l’image sensorielle — blancheur, bonté, vertu, etc., — ne va-t-il prolonger cette dénomination d’existence apparente au delà des nécessités de l’opération mentale qui la justifie ? En d’autres termes, l’effort d’imagination qui, par une procédure de fiction, nous ouvre un champ d’assimilation dans le monde élémentaire, pourra-t-il s’arrêter de lui-même au point où l’œuvre de subjectivité s’achève au butoir de l’objectivité ?

Le mot abstrait est, simplement, au fond, la représentation d’une hypothèse provisoire que la loi même de son effort — et, à plus forte raison, de son succès — tend inévitablement à prolonger, à fixer le plus longtemps possible. La même faculté qui, par un artifice verbal, extrait arbitrairement un des caractères de l’image sensorielle pour la réaction vocale, évocatrice d’une apparence concrète, n’est-elle pas invinciblement conduite, par les facilités ainsi obtenues du langage, à pousser, sans arrêt, la fiction d’une réalisation commencée ?

La grammaire, qui devra donner plus tard un premier avertissement, ne peut que suivre la formation du langage, non le précéder. Quand l’homme s’avisera d’une analyse grammaticale pour donner forme de règles aux coordinations spontanées de l’organisme mental, l’installation d’accoutumance du conscient dans l’inconscient nous aura d’avance accommodés à toutes déviations.

C’est ainsi que la qualité, distinguée fictivement de la "subs"-