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AU SOIR DE LA PENSÉE

les formations de rencontre, et l’écume d’espérance n’a pas fini de bouillonner en nous que déjà se retire l’incoercible puissance dont l’œuvre est de se donner et de se reprendre éternellement.

Qu’en pouvons-nous changer ? À quoi bon tous ces artifices de langage ? Révoltes ou résignations ne s’inscrivent sur le sable des grèves que pour les fortunes du vent. Et cependant, en cet univers infini, n’est-ce pas un éclair de quelque chose que d’occuper la minute qui passe d’une conscience d’avoir été ?

Un éclair de quelque chose, est-ce donc là tout ce qu’il nous est permis d’offrir à l’homme en retour d’une âpre traversée d’existence ? On serait mieux venu, sans doute, à lui ouvrir les perspectives d’un « paradis » de félicités sans fin ? Cependant, si plaisante qu’elle pût être, une telle aspiration ne saurait suffire, pour la médiocre satisfaction des puérilités ancestrales, à créer le fait accompli.

Au-dessus de tous les organismes de vie, la modestie de notre état demeure à ne pas dédaigner. Pessimisme, optimisme, sont des mots qui ne répondent à aucune donnée des phénomènes, puisqu’ils supposent un monde aux fins de la destinée humaine, quand c’est l’homme, au contraire, qui est dans la dépendance de l’univers.

Il y a des phénomènes. Et l’homme, qui est l’un d’eux, doit s’y accommoder. Qu’il s’en plaigne, ou qu’il s’en réjouisse, son aventure est de même importance dans l’ensemble que tel autre mouvement organique ou inorganique du monde infini.

Heur ou malheur — apparaître en forme de personnalité, c’est-à-dire en une homogénéité de phénomènes transitoirement bloqués, qu’est-ce de plus que le coup de chance du gros lot à la perpétuelle loterie des choses ? Un incomparable privilège (achevé du souverain pouvoir de quitter la scène à son heure), même pour celui que les hérédités condamnent à l’incompréhension de sa fortune — renvoyé à l’abîme en contre-coup d’en avoir jailli.

Et que nous faut-il donc pour un éclair de pure jouissance humaine ? L’épanouissement d’une conscience éphémère au passage d’un souffle d’éternité, l’acceptation hautaine de la loi qui s’impose, l’acquiescement d’une sérénité souveraine à l’incomparable fortune d’avoir été.

Du premier vagissement au dernier, l’homme a le temps de