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AU SOIR DE LA PENSÉE

de départ et des points d’arrivée. Avec l’aide de jalons, le chemin peut se découvrir en quelques parties.

À en juger par les pièces présentement sous nos yeux, des temps hors de mesure vont se trouver requis pour un développement cérébral propre à des interprétations de causalité. Et que dire des évolutions, plus ou moins concordantes, des facultés de l’entendement ? Les indications de la paléontologie sont rejointes par les enquêtes des philologues sur l’origine et les formations du langage. Cependant, nous ne saurions rien concevoir des phénomènes du parler chez l’homme de la Chapelle-aux-Saints, surtout quand nous voyons ses lobes frontaux plus proches de l’anthropoïde que de l’être humain de nos jours. Des sonorités d’expression ont pu s’échapper de ses lèvres. En était-il déjà à des tâtonnements de parole articulée ? Nos sauvages modernes ont sur lui trop d’avantages. Aux rencontres du monde, que présumer des premières tentatives d’expression ? Des monosyllabes jaillis de l’onomatopée ? C’est le plus probable. Quelles préparations ? Quelles figurations de pensées ?

D’autre part, le mot et la pensée se tiennent de si près et réagissent si fortement l’un sur l’autre, que l’histoire de leurs activités correspondantes apportera d’heureuses lumières sur l’enchaînement des directions mentales qui vont s’affirmer. Les variations évolutives, dans la vie concordante du mot et de la pensée, nous conduiront même peut-être au redressement des plus graves méprises par lesquelles notre destin est de passer.

Sous quelque forme que ce soit, des Dieux sont apparus, en réponse instinctive aux premières enquêtes suggérées par les aspects changeants du ciel et de la terre. Ce sera l’heure décisive qui marquera la limite entre l’état d’animalité et l’élan cérébral d’une évolution de l’homme qui le met en route vers une vie civilisée. Les bêtes n’ont point de Dieux ou, plutôt, elles n’en ont d’autre que l’homme qui ne se fait pas faute de les traiter comme fait, à son propre égard, l’implacable bonté « providentielle » aux mains de qui il a remis sa destinée.

Familiarisés, comme nous le sommes aujourd’hui, avec les constructions de la philosophie, nous raffinons à notre aise des formules générales d’interrogations et de réponses entre l’impuissance du non-savoir et la souveraineté du connaître absolu. Rien de tel ne pouvait apparaître aux premiers entendements