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AU SOIR DE LA PENSÉE

ment les émotivités, les pensées, les volontés, avec les actes qui s’ensuivent, sont de même ordre et de même activité organique dans tout l’ensemble du tableau. S’il y a liberté chez l’un, il faut qu’il y ait liberté chez l’autre. S’il y a déterminisme en un point, obligatoirement s’impose le déterminisme de toutes parts.

L’exercice de notre volonté aboutit, comme on sait, à un choix, c’est-à-dire à une détermination d’équilibre rompu — la plus forte puissance l’emportant sur la moindre dans tous les cas. Les mouvements des plantes s’accomplissent dans les mêmes conditions, mais par l’effet de réactions directes en raison des sensibilités organiquement moins différenciées. Dans l’échelle animale, la sensibilité s’accroît en étendue et en acuité progressives par des complexités de phénomènes organiques anatomiquement et physiologiquement conjugués De la plante à l’animal et de l’animal à l’homme, nul changement des phénomènes. Si bien que l’éducation des uns et des autres consiste uniquement à charger le plateau des attractions en réduisant celui des résistances. La culture de toute espèce vivante en vue de fins déterminées n’a pas d’autre fondement.

Il a fallu le métaphysicien pour donner le coup de pouce de l’âme à l’aiguille de la balance. Ce fut et c’est encore pour l’ignorance, un grand succès d’ « explication ». Vésale monte au bûcher pour crime d’anatomie. Le « réformateur » Calvin fait brûler Michel Servet qui avait pressenti la circulation du sang avant Harvey. Et malgré tant de fermes mesures, voilà l’âme et son libre arbitre en péril. Entre ses deux picotins, l’âne de Buridan demeure embarrassé. Dans les oscillations de l’empirisme, les choix de l’homme n’en différeront que par l’attirance ultérieure d’un idéalisme en évolution. Phénomènes organiques toujours dans l’enchaînement des lois de l’univers. Au lieu de deux Cosmos, nous n’en rencontrons jamais qu’un.

Du point de vue humain, quelles que soient les déterminations de ses activités, le Moi libre fera figure, dans le milieu social, d’un organisme d’ordre à encourager ou de désordre à réprimer. Notre responsabilité humaine n’est que le résultat naturel des réactions sociales de l’acte individuel sur un organisme d’humanité. On refrénera le désordre ? Bien ou mal selon les circonstances, sans qu’il soit besoin d’une procédure sup-