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AU SOIR DE LA PENSÉE

la « fixité » de son « Moi » dans le torrent des dynamismes de la vie. Les phénomènes de l’individualité, c’est-à-dire d’un « complexe » organique de synergies, ne nous font apparaître, là comme partout ailleurs, qu’une déduction d’instants que rien n’arrête et qui font éclater le moule rigide du verbalisme réalisé.

Le phénomène de la vie, incluant l’homme au même titre que toutes autres existences, nous montre une évolution de degré en degré, dont l’homme primitif, avec son Moi sauvage, et l’homme d’aujourd’hui, avec son Moi « civilisé », sont des manifestations successives irréductiblement enchaînées. Du plus simple organisme jusqu’aux plus hautes complexités, nous voyons défiler, dans le même personnage, le cortège innombrable de successions de Moi, plus ou moins conscients, plus ou moins évolués, tous caractérisés par un besoin de conservation, de croissance, de continuité. L’histoire de la vie de chacun nous présente ainsi, chez le même individu, un assez bel étalage de Moi différenciés, ou même contradictoires, dans les mouvements des déterminations héréditaires ou acquises selon les lois de l’évolution ? Il ne s’agit plus que de concilier l’incessante mutation avec l’incessante immutabilité.

Les primitifs, sans doute, s’étaient bien aperçus qu’il y avait dans le ciel des vols d’astres flamboyants ; sur la terre, des mers, des vallées, des montagnes, des animaux, des hommes en quête de directions. Mais une coordination positive, une compréhension objective de ces choses, voilà ce dont ils ne s’avisèrent que tardivement, sans se montrer très rigoureux sur la qualité des déterminations. Leurs neveux, plus tard, s’ingénieront à interroger directement l’univers — cruellement gênés par la métaphysique ancestrale qui persiste à vouloir trouver dans l’homme le secret de la Voie Lactée. Rien de plus naturel, à leur point de vue, qui est, a priori, d’un monde fait pour l’espèce humaine. S’il est véritable que les astres soient organisés à nos fins, il serait peut-être bon de nous montrer, en quelque partie, quelque chose de ce lien. Personne, encore, ne s’y est risqué. En revanche, des nébuleuses aux soleils, aux planètes, aux productions de la vie jusqu’à l’homme pensant, une succession d’expériences contrôlées commence à nous faire voir des stages d’évolutions coordonnées. Quant au miracle de ce Moi en qui se centraliseraient tous les mouvements de l’univers, tout