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AU SOIR DE LA PENSÉE

malentendus. Mais comment sacrifier les chances d’un rêve divin à l’espérance incertaine d’un développement inconnu ? Si le Chinois a vraiment eu, comme l’Indien, des tentations de doute, je croirais qu’il s’est bientôt détourné de hardiesses de pensées jugées par lui indifférentes.

Avec son Ciel, « Grand Extrême », qui ressemble beaucoup à notre Infini, la Chine a payé un tribut, jugé par elle suffisant, aux suggestions des grandes envolées. Mais loin d’y river son âme, elle a poétiquement gardé ses anciens Dieux familiers, pour des traditions d’hommages sous la loi philosophique du Bouddha. Ainsi, ne se trouva-t-elle capable que d’une résistance passive aux Dieux de l’étranger[1], aussi bien qu’aux coordinations de connaissances positives qui, tôt ou tard, à son tour, devaient venir l’assiéger.

Le peuple chinois se caractérise surtout par un respect immodéré de la tradition. Ancêtre le plus lointain de toutes civilisations, nécessairement superstitieux faute de savoir, attaché par-dessus tout aux formes qui lui paraissent emporter le fond[2], craintif jusqu’à s’arrêter court dans la voie des connais-

  1. Sauf des accès de violences populaires, qui ne sont pas comparables aux férocités systématiques de notre propre histoire.
  2. De courtoise amitié est l’accueil fait aux étrangers dans les temples chinois. En nos églises où les fidèles viennent plus souvent demander l’allégement de leurs peines qu’apporter des remerciements, l’impression est plutôt d’une tristesse résignée. Un silence tombe des hauteurs. Chacun glisse discrètement jusqu’à sa chaise, yeux mi-clos et tête baissée. Un sacristain passe, d’importance. Un vieux prêtre se rend à ses devoirs de l’air d’un homme qui a lié partie avec l’Éternité. Dans les temples chinois, je n’ai vu que bonhomie souriante, simplicité d’enfant. La préoccupation d’une bienveillante courtoisie envers qui se présente pour rendre visite aux personnages divins. Figés dans leur grimace, on sent que les monstres eux-mêmes sont de bons enfants, Avec ses décors, ses images, le temple est un salon, et, dans un salon, l’usage veut que les visages soient de grâce appropriée. Un salon public, cependant, ne va pas sans quelques libertés. Un jour, n’ai-je pas vu deux belles dames aux chatoyantes soieries, avec des bijoux d’or, aux prises avec un petit enfant qui cherchait des raisons de se fâcher. Revenu à la sagesse, la dalle nous fit voir qu’il s’était oublié. Les regardants souriaient et le bon Bouddha lui-même paraissait s’amuser. Aux jardins du temple, des tortues sacrées, Divinités d’avant-Bouddha, font flotter à la surface d’un petit lac des yeux interrogateurs. Une poignée de riz est recommandée. À Penang, en Birmanie, un temple chinois abrite d’innombrables serpents en liberté, qui s’enroulent autour des vases chargés de fleurs, ou des ornements