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COSMOGONIES

brahmanes en leurs monastères, en attendant le jour où les viharas bouddhistes allaient être à leur tour, vidés de leurs moines par la violence brahmanique. Au nom d’une paix des âmes, comme toujours, le sang fut abondamment versé.

Comme les Brahmanes, le Bouddha apportait la délivrance de la vie, mais au lieu d’en chercher le bienfait suprême dans l’absorption au sein de l’Être universel, il proposait de le conquérir par le désintéressement absolu des conditions de l’existence par l’entrée dans le Nirvana. L’élite intellectuelle allait à lui, tandis que le populaire, attaché à ses Dieux traditionnels, lui reprochait de conclure à « l’extinction des familles » par la disparition des enfants. Critique probablement fondée. Quand on vint annoncer à Çakya-Mouni, qui venait de commencer son grand pélerinage, qu’il lui était né un fils, comme on lui demandait quel nom il fallait lui donner, il répondit : « Nommez-le empêchement ».

En regard de sentiments qui sont si loin des nôtres, mettez ce beau cri d’universelle pitié : « Il a été versé plus de larmes qu’il n’y a d’eau dans le grand océan ». Jésus de Nazareth ne connut point de ces révoltes qui lui eussent paru criminelles à l’égard du Père miséricordieux. Çakya-Mouni, même, étendait sa charité insigne jusqu’aux plus humbles animaux. « Dans la forêt j’étais un jeune lièvre. Je me nourrissais d’herbes, de plantes, de feuilles et de fruits. Un singe, un chacal, une jeune loutre et moi, nous habitions ensemble et je ne faisais du mal à aucun être. » Nulle apparition de la nature aux lèvres du Galiléen[1].

Açoka, qui recommandait de se montrer doux envers les êtres vivants, donne l’exemple de la plus remarquable tolérance. Il supprima les honneurs presque divins qu’on rendait aux Brahmanes, mais leur continua ses aumônes et, au besoin, sa protection — multipliant les fondations d’hôpitaux et de maisons de secours.

Après la colonisation bactrienne des successeurs d’Alexandre, le gréco-indien Ménandre continua l’œuvre d’Açoka et de ses missions en Égypte, en Syrie, en Grèce, dont l’activité se con-

  1. Mahavira, le fondateur du jaïnisme, était à peu près contemporain de Çakya-Mouni. Beaucoup de points de ressemblance entre les deux doctrines : notamment le respect de la vie animale. Le jaïnisme est resté indien. Le bouddhisme a prétendu conquérir le genre humain, et l’a effectivement conquis puisqu’il y tient encore rang de majorité.