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AU SOIR DE LA PENSÉE

suivent pas nécessairement le sort des mots, plus durables, qui ont eu la prétention de les représenter. Le Bouddha mort, les disciples devaient commencer par faire bloc autour des paroles du Maître comme ceux du Christ, tardivement, après le Golgotha. Seulement, parce qu’elles sont de l’homme, les émotions, les pensées n’ont qu’une puissance de vie correspondant aux conditions de l’activité qui les exprime, et le maintien des mots s’accommode trop aisément d’interprétations modifiées. Les écoles se dressèrent en constante rumeur de divergences que l’esprit indien refusa de pousser jusqu’à nos haines d’hérésies. La guerre des reliques pour la possession des restes du Maître, allait trop tôt marquer que le legs spirituel de Çakya-Mouni devrait céder le pas au culte des matérialisations méprisées par le grand ascète, tandis que la survie de la pensée originelle ne demandait pas moins qu’une perpétuelle renaissance de Bouddhas. Ainsi du christianisme, qui, pour se préserver dans la pureté de la prédication nazaréenne, aurait voulu que l’inspiration de surhumanité demeurât. Voyez la fureur de nos persécutions religieuses pour des dogmes de métaphysique jamais pour l’insuffisant accomplissement des pratiques morales dogmatiquement prêchées.

Les grandes formules d’idéalisme universel nous sont venues d’Asie, et l’Asie elle-même n’a pu les vivre que dans un rêve qui ne finit pas. Nous, de l’Occident, nous avons verbalement transposé l’idéalisme asiatique — aussi éloigné des réalisations que le nôtre — en des rites qui nous tiennent lieu des accomplissements recommandés. Nos chrétiens vont à la messe, mais ils ne donnent pas leur fortune aux pauvres comme ils y furent, pourtant, invités.

La fortune du bouddhisme s’est maintenue au Thibet, en Birmanie, au Siam, en Chine, au Japon, à Ceylan, ou l’on ne peut pas dire que la vertu de l’enseignement primitif se soit complètement dissipée.

Dans l’Inde, la fleur est la suprême offrande aux Dieux. L’œil en est merveilleusement réjoui à l’entrée de tous les temples. La Birmanie s’y complaît avec surabondance. On ne peut pas décrire la pagode de Rangoon. En des échelles d’étalages fleuris où de petits enfants puisent à pleines mains des cascades de lotus à l’usage du fidèle comme du visiteur païen, j’arrive à un