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AU SOIR DE LA PENSÉE

difficile de nier. L’imagination s’est épuisée à vouloir machiner la bête, pour mieux rapprocher l’homme de sa Divinité — laissant ainsi, entre nous et le règne animal, l’abîme infranchissable où Descartes a glissé.

On s’est plu à classer sous le nom d’instinct tous les phénomènes intellectuels de l’animalité, à l’exclusion de l’homme métaphysiquement muni d’une âme éternelle, c’est-à-dire quasi-divine, en permanentes relations d’activités vitales avec son Créateur. La bête, d’entendement plus ou moins développé, s’est trouvée ainsi absurdement réduite à des manifestations de mécanisme vital, tandis que l’homme, créature élue de son Dieu qui lui octroie la faveur contradictoire de ne jamais finir après avoir commencé, se voit promu au rang insigne d’un demi-Dieu qui a eu des malheurs. Voilà ce que l’on continue d’enseigner à nos enfants, d’un consentement à peu près unanime, pour frapper de discrédit social quiconque ne feint pas de se rendre à de telles « leçons ».

Darwin a donné d’une terrible catapulte contre cet échafaudage d’incohérences, où, le premier, Lamarck avait irréparablement fait brèche avec l’audace tranquille d’une conscience sans peur. En attendant que nous soyons pourvus d’une bonne psychologie comparée où sensations et idéations se trouveront à leur place dans l’échelle des développements de la vie, le bastion du dogme biblique est déjà si bien emporté qu’il n’y a plus de refuge pour ses défenseurs, sinon dans les sacristies. Trop de parties d’observation ont été mises hors d’atteinte pour qu’il soit plus longtemps interdit d’en débattre, comme l’Église, cependant, ne cesse de le demander.

Si le monde, sans commencement ni fin, continue de « se créer » à tout moment, si l’homme de nos jours est le résultat d’une longue filiation évolutive de vies ascendantes, si notre cérébration, comme toute autre fonction de l’organisme animal, est au fil d’une coordination indéfinie de phénomènes, comment échapper à la nécessité d’en suivre attentivement le cours tout au long de l’échelle animale pour jalonner la sériation des activités organiques jusqu’à une vue positive de l’organisme mental et de son fonctionnement ?