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LE MONDE, L’HOMME

À nous le rêve, en attendant la connaissance. Poèmes des premiers jours, les livres saints nous montrent des miracles à chaque pas, découpant en scènes de théâtre le drame de l’homme et du monde si propre — l’événement en fait foi — à déconcerter leurs premiers efforts d’assimilation. Ce fut d’abord l’inévitable méprise de jalonner l’infini de « commencements » et de « fins », mots qui ne répondent à aucune réalité des phénomènes puisqu’ils ne représentent que des sensations mal interprétées. L’Inde ne s’y laissa pas tromper avec sa roue des choses pour exprimer le Cosmos en un cycle d’enchaînements. Nous n’admirerons pas moins la « nature des choses » quand nous aurons commencé de la connaître positivement. Nous serons même recrus d’une admiration raisonnée au lieu de sombrer dans la méconnaissance de l’univers, et de notre personnage au premier plan.

Du point de vue imaginatif, tout se présente en coups de théâtre à nos yeux déconcertés. Au vrai, nous ne saisissons que des passages, des étapes subjectives du mouvement infini. Les dernières vues sur la constitution du monde atomique, avec notre présente orientation vers l’unité fondamentale de la formule matière-énergie, peuvent annoncer de nouveaux champs de généralisations. Mais, si loin qu’elles soient poussées, nous ne nous en trouverons pas plus proches d’une rencontre d’ultimité, puisque tout se résout en des successions infinies d’enchaînements.

Trop éloigné des disciplines de connaissances positives le vulgaire des « intelligences » demeure mentalement dans les données ancestrales du drame cosmique dont, en puéril accapareur, il réclame pour lui-même un bénéfice d’exclusivité. Plus de modestie conviendrait. Nous ne pouvons saisir les phénomènes qu’à leur place dans la coordination de l’ensemble où de leur développement le tient enserrés. N’est-il pas déjà merveilleux d’en pouvoir induire des sensations de positivité ? Si cela n’est pas encore à la portée de tout le monde, plus impérieux le devoir de persévérer.

Que la sensation soit le caractère éminent de la vie animale, et qu’une naissante activité intellectuelle s’en dégage progressivement par la voie des associations d’images mentales, tout au long de la série des êtres, c’est pourtant ce qu’il devient