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AU SOIR DE LA PENSÉE

Il reste l’Extrême-Orient, terra incognita d’un développement d’activités mentales qui n’ont été dépassées sur aucun continent de la terre, et se trouvent même peut-être à l’origine des plus beaux efforts de notre pensée. Nous avons vu la Chine de nos premiers siècles venir chercher la pureté du bouddhisme dans l’Inde pour le conjuguer avec ses Dieux héréditaires. Serait-il plus étrange qu’avant Fa-Hsien, avant Hiouen-Thsang, d’autres missionnaires d’Extrême-Orient aient accompli un office de propagande en sens contraire, apportant de leur Chine des rites ou des symboles cultuels avec les doctrines qui pouvaient s’y trouver attachées ? Au troisième siècle avant notre ère, les missions d’Açoka en Égypte, en Asie Mineure, en Épire, offrent un exemple mémorable d’une telle propagande, sauf qu’au rebours des derniers missionnaires chinois qui allaient au-devant du bouddhisme, le grand empereur indien prétendait l’exporter[1].

On ne peut se défendre d’une telle pensée quand on rencontre le symbole cultuel du coq partout répandu en Extrême-Orient. Pour les imaginations primitives en quête des mouvements du monde, l’évocation est assez naturelle de l’oiseau dont le chant annonce le soleil. Sous l’action des mêmes causes, le même phénomène mental a pu se produire en tous lieux. N’est-ce pas ainsi que le coq païen, venu d’Asie Mineure, a pu s’installer au plus haut de nos églises chrétiennes pour claironner la lumière du jour, tandis qu’en Chine il remplit un rôle analogue en d’autres figurations[2].

C’est l’aventure encore du symbole de la croix inscrit aux parois des grottes paléolithiques, et rencontré parmi les premières expressions emblématiques de tous les continents. Au dix-huitième siècle, la fréquente présence de la croix parmi les caractères chinois avait frappé un savant missionnaire français, l’abbé de Prémare, qui dépensa candidement des trésors d’érudition pour accorder la Bible avec les croyances chinoises. Même

  1. En quoi il réussit mieux que dans sa propagande continentale. Si la conquête bouddhique de Ceylan par son fils Mahinda est demeurée permanente, l’enseignement de Çakya-Mouni a complètement disparu de l’Inde, non sans laisser, à l’Occident, d’indéniables empreintes dans son succédané chrétien.
  2. En Chine, par exemple, l’élève apporte un coq au maître qui doit dissiper les ténèbres de l’ignorance.