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LES SYMBOLES

Il faut y joindre encore une peinture d’un vase grec qui représente l’expédition d’Héraklès au jardin des Hespérides, où l’on voit deux Hespérides trompant le serpent gardien des pommes d’or immortelles. Enlacé autour du tronc, le pauvre « dragon » s’oublie à boire dans une coupe qui lui est tendue par une main perfide, tandis que la complice cueille le fruit mal défendu. Revanche anticipée de l’Éden où la candeur de notre mère Ève fut, pour ses descendants, la source providentielle de tant d’ennuis.

À Chypre (phénicienne) et en Égypte, n’a-t-on pas vu jusqu’à la fleur sacrée du lotus (symbolique par excellence) s’épanouir sur l’arbre de vie ? Le lotus, qui s’ouvre avec le soleil levant et se ferme au coucher de l’astre, est demeuré le symbole éminent des bouddhistes, non sans avoir appartenu à beaucoup d’autres cultes. Si les symbolistes de l’arbre de vie se sont emparés du lotus, avec d’autant plus d’empressement peut-être qu’il fut, pour raison d’apparence, l’idéogramme de la reproduction autant que de la course du soleil, c’est que les symboles, comme les mythes qui y sont inclus, n’ont cessé de s’emmêler, de se dénaturer, en usurpant les uns sur les autres, de s’amalgamer, de se fondre, à mesure que leur signification première allait s’atténuant dans la nuit des âges disparus.

La figuration, même, dégénérant ainsi en une abréviation d’achèvements secondaires, finit par n’avoir plus que la valeur d’un signe, et se transforme en un simple caractère d’écriture. Tout le monde sait que l’alpha grec fut originairement le schéma d’une tête de taureau.

Les Chaldéens avaient considéré l’univers comme un arbre dont la cime figurait le ciel, avec les étoiles pour fruits d’or, les racines symbolisant la terre où elles étaient plongées. De même, les Védas. Et non seulement la philosophie chaldéenne a fait de l’arbre un emblème solaire, mais l’Inde, encore, s’est donné le plaisir de métaphysiquer là-dessus.

    l’Inde maintes images de pierre, expriment peut-être la conception primitive des puissances du bien et du mal au combat pour la possession de l’humanité. Le même drame toujours. À Seringapatam, près du rempart où tomba Tippoo-Sahib, sabre en main, au pied d’arbres agités de singes, j’ai rencontré une accumulation de stèles représentant le traditionnel caducée. Asile de serpents en chair et en os, à ne pas déranger.