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CONNAÎTRE

adhésion au système de Copernic[1]. La leçon du procès de Galilée n’avait point été perdue. Descartes préférait abjurer d’avance. « Je nie, dit-il, le mouvement de la terre » avec plus de soin que Copernic, et plus de vérité que Tycho. Si nous semblons attribuer quelque mouvement à la terre, il faudra penser que c’est en parlant autrement… Je n’assure ici aucune chose et je soumets toutes mes opinions au jugement des plus sages et à l’autorité de l’Église… » Moyennant quoi, un bon pasteur protestant, ministre de l’université d’Utrecht, prit la peine d’expliquer que « le cartésianisme conduit au scepticisme, à l’athéisme, à la frénésie », et la théologique Sorbonne interdit Descartes dans tout le royaume. Tout cela n’est-il pas d’un assez bel enseignement ? Quelle entreprise est-ce donc d’obtenir de l’homme pensant qu’il en vienne à l’audace de parler sa pensée ?

Pascal est un croyant, l’un des plus beaux croyants qui aient été. Il a voulu fonder sa foi sur son intelligence. Il la fonde, avant tout, sur les ressauts de son émotivité. Le malheur est que sa mentalité de mathématicien exige une démonstration en règle dont, en grand sensitif, il excelle à se passer. À qui, à quoi faire confiance ? À la sensation du Dieu qu’il trouve directement en lui, ou à l’épreuve d’un raisonnement qui s’achève par la poignante recommandation de « s’abêtir » — le plus cruel aveu.

La lutte s’engage au plus profond du croyant, du penseur, et jusqu’à son dernier souffle l’homme s’en trouvera cruellement déchiré. Toute sa vie sera des convulsions de sa chair endolorie dans les combats de la foi, du doute et de la raison. Jamais il ne s’avouera à lui-même qu’il doute. Le doute, en soi, lui paraît une suprême injure à l’être, à la vie, au sentiment qui s’impose. Et sa vive douleur est de se demander si sa propre croyance est d’émotivité ou de logique élémentaire. Notre sentiment, sans autre étai que de lui-même, est-il ou n’est-il pas une pierre d’épreuve aussi sûre que notre raison raisonnante avec ses appareils de démonstration ? Et si le penseur trouve la raison à ce point insuffisante, qu’il en vienne à nous conseiller de nous abêtir, c’est-à-dire de la laisser là, que lui restera-t-il sinon de faire aveuglément confiance au sentiment dont la

  1. Hélas ! Pascal lui-même n’a-t-il pas modifié sa propre phrase pour revenir de Copernic à Ptolémée.