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AU SOIR DE LA PENSÉE

prédicateurs, et souvenons-nous simplement que, s’il y a, de l’homme quaternaire à Newton, un progrès dans notre connaissance du monde, nous avons peut-être quelques raisons de ne pas nous en tenir aux cosmogonies d’ignorance avec l’ébahissement théologique qui supprimait tout besoin d’explication positive.

Pour entrer plus avant dans les conditions du phénomène, demandons-nous d’abord comment et pourquoi la question primordiale se trouva nécessairement mal posée. Devons-nous, dans notre enquête mentale, procéder de l’homme au monde ou du monde à l’homme ? Voilà le premier problème. Nos primitifs ne pouvaient avoir le choix. Il leur suffisait de la plus vague conscience d’eux-mêmes, pour objectiver les choses et leur demander des comptes au tribunal de la personnalité. Le Cosmos, indifférent, comparaissait à la barre sans s’émouvoir des réponses qu’il plaisait au juge de lui attribuer. Quel rapport cela pouvait-il avoir avec la procédure ultérieure d’observation positive, selon laquelle nous cherchons les conditions infrangibles de l’univers pour nous permettre de nous y encadrer ?

Ce fut l’anthropomorphisme en sa naïveté, en sa nécessité, puisque l’homme ne peut faire autrement que de tout rapporter à lui-même jusqu’au jour où une observation séculaire lui apprendra, tout au contraire, qu’il est le produit de l’univers, non sa raison d’être, et qu’il doit s’y accommoder. Transposition de la cause à l’effet, c’est une assez grave méprise. En serons-nous jamais dégagés ?

Descartes allègue que ce que nous connaissons du monde vient de nous-mêmes. C’est proprement le problème renversé. Ce que nous connaissons de nous-mêmes vient des correspondances de nos activités individuelles et des activités cosmiques dont notre « Moi » est le produit ordonné. Nous ne pouvons contenir le monde qui nous enserre. En revanche, des parties de manifestations

    décrit leur étonnement pour leur attribuer cette conclusion : « Oui, il y a des Dieux et ses grandes choses sont leur ouvrage. » Ce cri, s’il fut poussé, ne put être que le fruit de l’inobservation totale postulée par le philosophe. Comme nous vivons, depuis le premier jour, une vie de perpétuelle accoutumance venue de nos aïeux inférieurs, il n’y a point de place pour l’hypothèse de Platon, et manque la cause, s’évanouit l’effet. Qui de nous pourrait dire à quel moment de sa vie il a découvert le soleil ? L’heure viendra plus tard d’une exclamation d’émerveillement, mais dans des conditions fort différentes, car c’est l’expérience honnie qui nous y aura amenés.