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AU SOIR DE LA PENSÉE

naître. Et les deux protagonistes s’affrontant sans relâche, celui-ci ne peut que s’éterniser dans ses rites de magie, puisqu’il n’y a point pour lui de progrès dans la connaissance, tandis que l’autre avancera de jour en jour dans les déterminations du monde dont il offre à tous moments des épreuves de positivité.

Supposerons-nous que, par l’effort de siècles sans nombre, toutes les relativités finissent par s’agglomérer, sans que rien n’y manque, en un bloc d’absolu ? Quel serait l’état de l’homme, fini, en cette monstrueuse rencontre de l’infinité ? Où trouve-rait-il un champ de conquêtes nouvelles ouvert à ses enquêtes d’expérience aussi bien qu’aux envolées de l’imagination ? Il saurait tout, le malheureux, et ne pourrait plus revenir aux magnifiques efforts des temps ou il cherchait ce que son malheur fut d’obtenir. Nulle raison de penser, de vouloir et de faire. Le voilà pour jamais diffusé dans l’inertie d’un potentiel qui ne peut plus se déclencher.

Aux âges où il pouvait heureusement se plaindre des œuvres de sa relativité, l’impérieux besoin de connaître le poussait aux efforts de la vie, et lui donnait, avec les ardeurs de la liberté nécessaire, le contentement supérieur d’une dignité personnelle susceptible de s’accroître de son propre effort. Cette évolution de noblesse, ce n’est pas seulement le plus beau de l’homme actuel, c’est encore et surtout la source inépuisable de toutes ses activités en devenir. Sa grandeur est d’une tension de connaître. Que faire de lui-même, s’il a tout trouvé ? Il a valu, non seulement par ce qu’il avait pu connaître, mais encore par l’impulsion irrésistible qui le jeta sans relâche aux conquêtes de l’inconnu. L’erreur elle-même a son poème dans l’élan de l’intelligence. Perdue l’ambition de croître, anéanti l’idéal d’une réalisation d’humanité.

Ainsi donc, il faut l’imperfection pour atteindre un achèvement de vouloir par nos puissances de perfectibilité. Ce que l’homme de la Révélation tient pour infirmité n’est rien de moins que la fontaine de jouvence ou s’alimente, à travers toutes épreuves, le torrent de ses activités. Pauvre Dieu qui ne peut pas grandir, incapable de se développer.

Les penseurs de l’observation n’ont jamais contesté les limites, toujours provisoires, d’une connaissance organiquement limitée