Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
LE MONDE, L’HOMME

de nos jours. D’obscures questions d’empirisme immédiat pour l’homme primitif, en distinction de l’animalité, ne pouvaient que susciter des réponses à la mesure d’un « entendement » tout neuf en quête d’accommodations inconnues. D’un premier pas, un second. C’est toute l’histoire de nos évolutions successives qui va commencer et se poursuivra dès les premiers mouvements de nos relativités. Où que je m’arrête de l’homme primitif, j’y rencontrerai les éléments de l’homme à venir, mais encore impuissants à se développer. Le passage de l’impuissance à des parties de puissance, en leurs divers degrés, résume toute l’activité de notre vie. Comment en pourrions-nous saisir le cours si nous campions l’homme, à ses débuts, comme fait la « Révélation », dans les formes mentales de la présente humanité ?

Non. Les questions, sous l’étreinte desquelles nous nous débattons à cette heure, ne se posèrent pas et ne pouvaient pas se poser dans les mêmes termes, avec la même portée qu’aujourd’hui. Il faut bien remonter jusqu’aux problèmes des origines, puisque les réponses, dont put se contenter l’homme des premiers jours, préparèrent nécessairement le questionnaire qui dut s’ensuivre pour des enchaînements d’explications appropriées aux trames subsistantes des anciens états de connaissance. J’indique simplement ici que les questions suggérées par les premiers bégaiements des méconnaissances engagèrent d’abord la sensibilité ancestrale dans des voies où l’imagination ne pouvait se heurter encore au frein de l’observation contrôlée.

Je dis sensibilité, parce que c’est biologiquement le premier stade des réactions de l’organisme au contact du dehors. Mais qu’on ne transpose pas nos présentes sensations au compte d’un organisme de l’âge quaternaire. L’homme de la Chapelle-aux-Saints, pour ne citer que le plus notable de nos aïeux muets, encore tout submergés d’accoutumances animales, dut s’étonner, sans doute, avant d’en venir aux interrogations dans des formes et dans des mesures fort différentes de celles du temps présent. Nous voilà fort loin du coup de théâtre qui nous montre l’âme humaine jaillissant de la « Puissance infinie » pour un assujettissement de progéniture[1]. Laissons ce thème aux

  1. Le grand imaginatif Platon suppose des hommes nés dans une caverne obscure, amenés tout d’un coup au grand jour. On devine de quel cœur il