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AU SOIR DE LA PENSÉE

Quels témoignages d’inadaptation primitive nous apportent les crânes fossiles de nos lointains ancêtres, quand nous y cherchons des conditions d’organismes capables de susciter, sous l’aiguillon des sensations accrues, la plus vague interrogation des choses, fût-ce pour s’en tenir, d’abord, à des aggravations d’obscurité !

En quelque forme que le phénomène se soit manifesté, les hommes de ces temps ne pouvaient s’embarrasser d’analyses. Le rêve primitif tout fondé sur les apparences, comment le distinguer des épreuves d’observation qui demanderont des siècles d’incertitudes pour être plus ou moins justement interprétées ? Rêver ou penser, c’est tout un, à cette heure. Qu’importe alors la différence originelle entre une procédure d’investigation purement subjective et l’objectivité cherchée des interprétations à venir ? La sensation réagit d’abord par le rêve, c’est-à-dire par l’incohérence des réactions de sensibilité selon la loi du moindre effort, avant d’en arriver aux formules méthodiques de la pensée qui font sortir la connaissance positive de l’observation contrôlée. Rêve éveillé, rêve endormi, nous n’avons qu’un seul nom pour deux états de psychisme analogues mais différents : l’un, exprimant, dans les rythmes de l’éveil, un effort d’imagination au delà des réalités ambiantes ; l’autre, désignant, dans l’engourdissement rythmé du sommeil, la morbidité d’un retentissement organique hors des correspondances de la fonction, comme ferait l’inutile contraction d’une crampe musculaire, ou la rotation d’un volant sans courroie. M. Yves Delage s’est égaré à la recherche d’un ordre dans les désordres de ces vains retentissements[1].

Je m’attache exclusivement ici au phénomène d’imagination conditionné par la mentalité générale et la culture particulière de chaque entendement. Un long stage de la confusion s’établit de fatalité, au cours duquel l’esprit humain ne put que se chercher lui-même avec des chances plus que douteuses de se rencontrer positivement. Triomphales accommodations d’inconnaissance, les élans émotifs de ces âges avaient surtout une valeur de poésie inexprimée. Ils se voient présentement demander des comptes par les laborieuses proses de l’expérience en des formes

  1. Le Rêve.