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AU SOIR DE LA PENSÉE

temps, sans arriver à la constitution d’un fond commun sur lequel on pût s’accorder clairement pour la mise en marche de l’intelligence humaine vers de nouvelles progressions de connaissances contrôlées ? La raison en est dans l’inconnu des valeurs d’objectivité susceptibles de s’imposer aux fins d’un général assentiment. Pas de pierre de touche, en ces âges, pour distinguer le rêve de la pensée. On en est venu à nous offrir simultanément, pour moyens de connaître, l’intuition prophétique et l’expérience vérifiée qui nécessairement s’excluent. Les décisifs progrès de la science moderne ont enfin amené une totale révolution dans cet état de choses. La probation d’expérience s’est imposée comme seul critère d’une vérité stabilisée.

Non qu’il puisse être question de donner à la connaissance positive une valeur d’absolu, comme au dogme dépourvu d’un fondement de positivité. Nos dogmatiques nous imputent à déchéance la relativité de notre observation. Plaisante vanité de soi-disant possesseurs d’absolu à qui échappe la corroboration expérimentale d’une preuve de positivité. Ils disent connaître le monde en soi, mais de ce dire aucun témoignage de vérification ne se présente. On a vu par le procès de Galilée ce qu’il arrive quand science et dogme viennent à s’affronter. Nos prétentions, il est vrai, ne vont pas au delà d’une connaissance relative. Mais, de notre revendication d’expérience nous ne pouvons être délogés, puisque l’observation, prise en défaut, ne se peut rectifier que par un nouvel afflux de précisions. Où donc est la « faillite » annoncée ? Du côté du Florentin condamné ou de ses juges tenus de se déjuger ?

La connaissance positive a finalement débordé tous les cadres que le dogme a prétendu lui assigner. Elle s’est installée en souveraine dans tous les domaines libres, dans tous les domaines réservés. Elle ne s’impose pas. Elle se propose à ceux qui sont dignes d’elle. Son propre est de ne procéder qu’avec la pointe de doute qui fraye la voie de la connaissance de la veille à la connaissance prochaine. « Vous ne doutez beaucoup, écrit Voltaire à M. des Alleurs, que parce que vous pensez beaucoup. » Tous doutes réservés, il nous demeure un tel fond de connaissances provisoirement vérifiées que le jour vient très vite ou s’impose le besoin d’un bilan de synthèse. C’est ce qu’avait entrepris saint Thomas dans sa Somme théologique. C’est ce