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AU SOIR DE LA PENSÉE

-même, les formules au peuple qui le méconnaissait ? Des recommandations de juge de village dont il aurait pu munir nos premiers parents lorsqu’il les installa parmi les pièges de son fameux jardin. Et c’est tout ce que le Maître du monde se trouvait en mesure de faire pour nous aider ? Oui, pas d’avantage. De révélations sur la « nature des choses » pas un seul mot. De l’homme et du monde, rien. De l’Horeb au laboratoire de sir Ernest Rutherford ou de Jean Perrin, il y a vraiment trop de distance. Prétendre assigner au monde une raison d’être, en dehors de lui-même, n’est-ce pas imposer d’avance le caractère d’un dessein, d’une production de volonté, c’est-à-dire d’un problème posé de telle sorte que la solution s’y trouve impliquée. Pas plus que l’univers, Dieu lui-même ne serait explicable. Il est parce qu’il est. C’est toute l’explication qu’il a pu donner de lui-même. L’univers, à son tour, peut s’en contenter.

Quand nous invoquons « la Loi », notre théologie ne manque pas d’observer qu’il faut voir la manifestation de la volonté divine, souveraine du monde et de ses formations. Cela ne nous avance guère puisque nous ne pouvons connaître que des rapports de relativité et que nous aboutissons, dans tous les cas, à une simple constatation d’existence. L’insertion d’une volonté divine dans le Cosmos n’a d’autre effet que de reculer le postulat de stage en stage jusqu’à la rencontre du phénomène universel, dont la seule condition soit d’exister.

Nos « Lois » n’ont et ne peuvent avoir aucun caractère de mysticité. Pour nous les révéler à nous-mêmes, nous n’avons pas besoin de croire qui que ce soit sur parole. Elles sont directement le fruit universel de tous nos labeurs — toujours soumises à toute épreuve de contrôle, et par là, dignes, à tout moment d’une confiance raisonnée. On ne les trouve écrites nulle part, mais elles sont partout manifestées, depuis les profondeurs de l’électron jusqu’aux astres que nous ne pouvons voir. Cela ne suffit-il pas ? Et puisqu’elles ne disent rien de plus qu’une constance, momentanée de rapports, que fait-on quand on dénonce leur « faillite », sinon s’imposer apparemment le devoir d’y apporter des rectifications d’expériences témoignant d’un nouvel effort dans les enchaînements de la connaissance positive.

Elles sont de notre subjectivité, car, si l’homme venait à disparaître, leurs formules qui nous les rendent tangibles, dispa-