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LES DIEUX, LES LOIS

tueux de la connaissance accrue emporte à l’océan des choses périmées.

Le simple énoncé des propositions de l’Éthique montre suffisamment à quel point l’installation des connaissances positives dans l’entendement moderne a bouleversé nos conditions de concevoir et de développer nos enchaînements de relativités. Même creusé à contre-jour, le tunnel d’investigation peut rencontrer un filon de clarté, en faire jaillir l’étincelle, comme fit le Titan du Caucase d’une rencontre de deux obscurités[1]. Le grand polisseur de lunettes sut si bien polir sa lentille que, donnant de son gré dans une mathématique de mots, il vit et fit voir comment la droite logique du verbe tyrannique conduit, elle-même, par une revanche qui nous était due, à l’évanouissement de ce qui n’est pas d’observation contrôlée. L’homme qui osa pousser imperturbablement une telle entreprise n’aura pas rendu moins de services que les plus beaux conquérants de connaissances relatives, pour avoir, de ses phosphènes évocateurs, éclairé quelque chose de l’écran noir de l’absolu.

Pas d’effet sans cause, pas de cause sans détermination. Il faut que l’univers tienne en cette formule, aussi bien dans son infinité que dans chacun de ses « quanta » diffusés. La loi morale, de doctrine universelle, parce que les conditions organiques de l’homme social en déterminent toutes les lignes, vient-elle d’un indéfinissable absolu, ou, comme toutes nos autres lois, exprime-t-elle simplement une constance de rapports sur laquelle il convient de nous régler ? Dès à présent nous pouvons tenir pour acquise la solution de positivité. Puisque la métaphysique de l’absolu aboutit à le dépersonnaliser sans remède, que pouvons-nous faire sinon de chercher notre propre loi dans les coordinations des phénomènes positivement déterminés ?

Vanité du didactisme, avec ses « principes » de morale métaphysiquement enseignée. Fait-on la théorie biologique de la marche aux enfants pour leur apprendre à se tenir sur leurs jambes ? L’enfant reconnaît bien vite que s’il ment ou s’il pille, il lui en viendra des ennuis de quelque façon. Sa conception personnelle n’est hostile ni au mensonge, ni au larcin qui lui pa-

  1. L’Arani.